PAUL COWLEY – Stroll Out West (Lou B Music LBM007 2023)
Titres :
01 - My Kinda Girl 4:23
02 - On My Way 4:07
03 - Nosey 2:32
04 - World Gone Crazy 7:12
05 - Special Rider Blues 4:32
06 - Tracks Of My Tears 4:15
07 - Songs Of Love 3:03
08 - Life Is Short 4:47
09 - Stagerlee 3:29
10 - Whatever It Takes 5:26
11 - Catfish Blues 3:52
12 - Preachin Blues 4:24
Musiciens :
Paul Cowley: chant, guitares, glisse-guitare, percussion
Pascal Ferrari: batterie, percussion, basse, contrebasse, batterie et différents autres instruments
Les colonnes de RTJ connaissent bien maintenant Paul Cowley. Ce natif de Birmingham établi en Bretagne se fait petit à petit un joli nom dans le « country-folk-blues » acoustique, tant dans son pays d’origine (première partie de Wishbone Ash à Chester en septembre dernier !) que dans son pays d’adoption (par exemple, participation au Gartempe Blues Festival 2024 à Saint Savin (86) en août dernier, et déjà première partie de Wishbone Ash en avril dernier, à St Agathon près de Guingamp !), grâce à la fois à des reprises et des compositions au format intimiste offrant sa vision originale du blues, tel qu’il émerge des eaux du Mississippi. Avec un peu de retard, voici la chronique de son septième album (déjà !).
On démarre sur « My Kinda Girl », morceau original bien rodé pour avoir figuré pendant plusieurs années au répertoire de l’artiste. Agrémenté de la basse et des percussions de l’indispensable Pascal Ferrari qui offre aux disques et à certaines prestations de Paul un habillage à la fois complémentaire et varié, le titre gentiment swinguant nous emporte d’emblée dans un univers subtil très proche de celui des précédents albums. Les habitués seront ravis ! Sous une forme qui donne satisfaction depuis longtemps et qui a peu évolué, on peut quand même remarquer dans cet album une tonalité légèrement plus sombre au niveau des thèmes abordés, comme nous allons le détailler. « On my way », lancinant blues commencé en solo, s’enrichit rapidement des apports de Pascal Ferrari et se distingue par une élaboration basée sur un « drop D », comme disent les Anglo-saxons, c’est à dire la corde du mi grave baissée en ré. Le malicieux « Nosey », sous ses allures presque guillerettes, met en scène (et en boîte !) sans méchanceté, mais avec un fond doux-amer, un voisin morbihannais de Paul. Ce dernier commente ainsi le sujet de son morceau : « Il est trop occupé pour remarquer ou envisager que la chanson parle peut-être de lui ! ». Ainsi vont parfois nos vies, dans l’individualisme et l’indifférence générale, mais pour le blues et ses interprètes les plus affûtés et les plus lucides, il reste clair que, décidément non, tous les humains ne sont pas fraternels, conviviaux et altruistes. Ah que le Belouse !
Le climat (si on peut dire…) s’assombrit encore un peu avec le long (plus de sept minutes quand même !) « World Gone Crazy », blues lent et lancinant rythmé par la contrebasse de Pascal Ferrari et orné de jolis traits de slide, pendant lequel Paul s’engage sur le triste constat de la marche du monde et nous fait part de ses « observations du somnambulisme continu de l'humanité vers sa propre disparition ! », mais sans pour autant sombrer dans une déprime qui ne cadrerait pas avec le personnage. Après ces quatre morceaux originaux, Paul aborde la reprise à sa sauce du « Special Rider Blues » de Skip James, dans une tonalité plus basse allant mieux à sa voix, et donnant au morceau une tonalité plus profonde. Là encore la slide intervient opportunément pour personnaliser cette reprise et la faire entrer en douceur dans l’original monde « cowlesque ». Paul poursuit en passant, toujours respectueusement, à sa propre moulinette le célèbre « Tracks Of My Tears » de Smokey Robinson, écrit pour les Miracles sur une musique du guitariste Marv Taplin. Comme le dit l’artiste, un titre de la Motown dans un tel album, ça « étend la crédibilité d'un bluesman » ! Si le thème n’est pas bien gai, et reste dans le blues, la musique se fait ici plus pêchue, voire montre un certain entrain tout en conservant ce swing léger, presque jazzy, que Paul Cowley semble toujours emmener avec lui. Une réussite pour une bien belle reprise ! « Songs Of Love », un titre original inspiré par Jim Crawford, lui succède avec fluidité dans une veine presque boogie avant le poignant « Life Is Short » qui reflète la prise de conscience aiguë de Paul à la mort de son père, décédé le 5 août 2021, nous rappelant à tous avec sensibilité à quel point la vie est éphémère et précieuse. Toujours dans une veine un peu ténébreuse, « Stagerlee », titre aussi connu sous d’autres noms, nous fournit sous la forme d’une sombre ballade la vision qu’avait Mississippi John Hurt d’un véritable meurtre à Saint-Louis en 1895. La voix de Paul empêche heureusement le sujet du titre de plomber l’ambiance, et on ne peut que louer le remarquable travail d’adaptation pour ce morceau. Les apports de Pascal Ferrari à la basse et aux percussions sont encore bien mis en évidence sur « Whatever It Takes », dernier titre original du disque, et lui donnent un petit parfum « chicagoan » bienvenu, pendant que Paul exprime sa philosophie de la vie sur les choix qu’on peut faire, et l’investissement sans garantie qu’on doit consentir à certains moments pour espérer faire évoluer son destin. Crossroads !
L’album se termine par deux reprises emblématiques et bien connues des amateurs de blues : l’hypnotique « Catfish Blues » de Robert Petway, dont quelques mots des paroles ont donné son titre à l’album, qui a l’honneur d’être annoncé sur l’enregistrement par Paul lui-même, et dont la guitare de base est soutenue par la basse profonde de Pascal Ferrari, qui orne aussi le titre de quelques traits de slide plus saturée que d’habitude, suivi d’une version tonique et enlevée du « Preachin Blues » attribué à Robert Johnson, version qui a failli ne pas figurer sur l’album ! Pourtant elle clôt en beauté ce disque à la fois tranquille mais sans mollesse, délicat, réfléchi, bien construit et travaillé, tout en nuances, une sorte de disque de philosophe, parfait pour passer le temps en observant le monde et en réfléchissant à la vanité de son côté éphémère et transitoire.
En 2015, je notais à propos de l’album « Rural » du même artiste : « Une bien belle réalisation qui se savoure elle aussi tranquillement, confortablement installé au coin du feu, un bon verre à la main, en rêvant au temps qui passe et aux arbres qui se dépouillent de leurs feuilles. ». La philosophie comme la qualité n’ont pas changé en presque dix ans. Dans le verre, l’idéal serait un bon whisky, single malt bien sûr, bien vieilli, que l’on déguste à petites gorgées, ou éventuellement un Cognac des familles, parfumé et puissant, mais d’après quelques témoignages de personnes moins portées que moi sur ces alcools de connaisseurs, il paraît qu’une bonne tisane ça marche aussi ! Bonne tisane alors !
Y. Philippot-Degand